Louise de Vilmorin, une vie de bohême

Vie passionnante et passionnée de Louise.
Descendante des grainiers, fleuristes et botanistes du Roy, Louise naît en 1902 peu après une sœur aînée (1901) et avant quatre frères (de 1903 à 1907). Cette fratrie vit dans le château de Verrières avec force cousins. Enfance heureuse ? Pas tant que cela.
Ses relations avec sa mère, Mélanie, sont désastreuses. Elégante, séductrice, mondaine, elle livre l’éducation de ses enfants à une gouvernante et à un précepteur. Enfant, Louise se sentira toujours exclue et confie combien elle se sent mal aimée par sa mère. Elle se réfugie auprès de sa poupée Lili « l’objet de toutes ses attentions, la source de sa fierté et de ses bonheurs», et ce sera un drame lorsqu’elle découvre que sa mère a offert, en son absence, sa poupée à une autre petite fille.
Louise écrit :« Maman n’est vraiment pas gentille. Elle veut avoir tous les âges sauf le sien. Elle est belle, belle, belle … Qu’elle nous permette au moins d’être jeune.»
Une amie de sa mère écrira que Mélanie est «incompréhensible d’égoïsme et de cruauté »
Mariée une première fois en 1925 avec un américain, dont elle aura trois filles, puis remariée avec un prince magyar, Louise sera toujours à la conquête d’hommes cultivés, mais pouvant aussi lui assurer une aisance financière. Mais Louise est toujours insatiable, excessive, envahissante, écrivant à ses amants d’autrefois devenus les amis d’aujourd’hui, des lettres échevelées.
« L’inconstance a été la source de tous mes malheurs » dit Louise.
Comment expliquer cette inconstance, ce besoin de toujours plaire, cette vie de «reine des nomades» fuyant, toujours en voyage ?
En 1915 son père est envoyé à Londres comme attaché de l’ambassade de France. Le précepteur de Louise qui lui a enseigné l’anglais et l’allemand a remarqué ses dons pour la narration et lui recommande de tenir un journal de voyage et en 1916 Louise compose un poème en prose. «Ah ! le crépuscule d’automne: n’est-ce pas la plus belle heure du jour…On rêve, on rêve à travers la brume mauve des soirs d’automne délicieux et calmes »

Atteinte d’une tuberculose de la hanche, plâtrée 3 ans, elle boitera toute sa vie. En 1922 elle s’éprend d’Antoine de St Exupéry mais les fiançailles sont rompues.
En juillet 1917, à 15 ans, ce moment de l’adolescence si fragile, Louise perd son père. « Mon bien-aimé papa, image de fantaisies, emblème des vertus, don des dieux sur la terre…Revenez donc un instant, je suis votre vie. » écrit-elle le jour de ses 45 ans. Dans un de ses recueils elle écrit « cet oreiller divin qu’on appelle le cœur d’un père. »

Comme on le perçoit, Louise est d’une très grande sensibilité.
En 1925, elle épouse Henry Leigh- Hunt et apparait désespérée le jour de son mariage ! Elle suit son mari aux Etats-Unis mais s’ennuie et écrit « ma première tendresse de femme est morte de chagrin » car à nouveau son mari s’absente souvent pour ses affaires. Louise souffrira toute sa vie de cette solitude.
1927 : Louise revit et s’étourdit dans la vie mondaine des années folles à Paris, elle retrouve Paul Morand, Paul Valéry «J’avais le goût des conquêtes, et conquise, je voulais conquérir » dit-elle. Frivolité ? Non, je ne pense pas mais Louise a besoin de reconnaissance et surtout d’aimer et d’être aimée. «Je ne veux aimer personne car je n’ai en ma fidélité aucune confiance » écrit-elle à 16 ans. Quelle maturité et quel aveu !
En 1929,1930 et 1931 elle met au monde 3 filles mais en 1937 au moment du divorce, le père emmènera ses filles avec lui aux Etats-Unis et Louise ne les verra pas pendant des années. Même si parfois elle pense à elles avec tristesse, Louise conclut après en avoir reçu une après 8 ans d’absence : « Elle m’ennuie !»

A Paris Louise est invitée de plus en plus dans des salons littéraires avec Drieu la Rochelle, André Gide, Malraux qui lui recommande « Si vous vous ennuyez, évadez- vous en écrivant. …Vous avez un réel talent»
Un compliment que Louise n’oubliera plus jamais et qui va changer sa vie. Elle a confiance en elle et se met au travail méthodiquement. Plus tard Louise dira de Malraux «Je considère que c’est à lui que je dois tout parce qu’il m’a fait confiance» Devenus amants en 1933, c’est vers lui qu’elle reviendra après de multiples liaisons plus ou moins durables pour finir sa vie en 1969.
Dès 1938, Louise épouse Pali Palffy, comte de Presbourg qui avait été déjà marié 3 fois !!! La Hongrie devient sa seconde patrie, le château de Pudmerice est un enchantement. Cet époux lui offre enfin «une vie» mais les infidélités de Pali conduisent à celles de Louise et à un second divorce.
Heureusement il y a ses 4 frères. «Elle aimait d’amour ses frères et fraternellement ses amants» dit son ami Francis Poulenc. Mais eux aussi auront leur vie. Ils se marieront, auront des enfants, voyageront…mais ils sont les quatre pétales du trèfle dont Louise est le cœur, comme le montre si joliment la photo de couverture de ce livre si intéressant. Et il y a ses nombreux succès littéraires : Son premier roman Sainte-Unefois paru aux éditions Gallimard en 1933, le second La fin des Villavide en1936, en 1939 un recueil de poèmes Fiançailles pour rire, en 1941 elle publie un nouveau roman Le lit à colonnes qui sera porté à l’écran. En 1945 Louise rédige Le retour d’Erica qui est encore un succès. Ses recueils de poèmes seront parfois illustrés par Jean Hugo. On lui demande des chroniques de mode, mais ce que Louise préfère ce sont les mémoires et la poésie qui feront la trame de ses romans « Je ne peux raconter qu’en me racontant ».
Malgré le grand prix de prince de Monaco pour l’ensemble de son œuvre, malgré la croix de chevalier de la légion d’honneur en 1955 et l’ Ordre du Mérite reçu par Malraux en 1964 pour avoir servi la langue française cette « princesse des mots » pourra  écrire : « Tous les gens qui m’entourent ont une vie familiale, un avenir et il me semble que moi, je n’ai rien, que j’ai tout raté ».
Non, chère Louise vous n’avez pas tout raté, vous avez eu beaucoup d’épreuves à surmonter, et grâce à votre imagination, à votre créativité vous nous avez laissé des poèmes et des lettres d’amour sublimes qui feront le bonheur de bien des générations.

Louise de Vilmorin, une vie de bohême par Geneviève Haroche-Bouzignac
Editions Flammarion

Mille sabords

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